En cette veille d'assemblée générale de l'ESAM, chacun œuvre aux derniers préparatifs. On est franchement plutôt pas mal dans les temps, avec une petite touche de "à l'arrache" sur des détails peu importants, comme il est de mise, bien sûr ! Ambiance plutôt détendue, on est confiants, sauf que, sauf que... à 17h20, Hugo lance l’alerte : deux chiens sont bloqués à Tencin.
18h18 : les détails carto arrivent. Pour Chloé et Romain D (on précise le D, vous comprendrez plus tard !), Tencin se situe à vingt minutes de la maison. Bon, ben changement de programme, les derniers fignolages pour l'AG attendront un peu !
Le lendemain, c'est un sacré attroupement de gilets jaunes qui se forme sur le parking du Super U de Tencin. Il est 9h, et les bénévoles secouristes ont répondu présents. Présents et motivés, il y a même des petits biscuits apportés par Hélène. Le soleil réchauffe doucement les cœurs en cette matinée de froid sec. Le requérant ne tarde pas à arriver, accompagné par sa compagne. Ils expliquent que leur chienne est coincée, mais elle ne serait pas seule : le hasard fait qu'un deuxième chien, appartenant à un autre groupe de chasseurs, se serait bloqué lui aussi dans la même zone.
Le matériel est réparti entre les secouristes et la troupe s'élance en direction du point GPS indiqué par les chasseurs. Vu le nombre de secouristes, chacun ne porte qu'un sac plutôt léger. Une journée qui s’annonce inhabituelle en tous points ! D'autant plus qu'une fois n'est pas coutume, la zone est plutôt facile d’accès. On emprunte d'abord un chemin en goudron qui longe quelques habitations ainsi qu'un grand champ en contre-bas. En tout et pour tout, cela représente dix minutes de marche, à plat. Du jamais vu ! Au bout de cette randonnée harassante, huit chasseurs attendent le groupe. Un peu plus loin, le terrain se raidit et plonge dans une combe profonde, aux pentes abruptes et terreuses. Car oui, les voilà rassemblés dans un lieu surnommé "le Saut de l’Épouse". Les chausseurs racontent qu'il y a fort longtemps, une mariée se serait jetée dans ce précipice le soir de ses noces, préférant les abîmes sombres au mariage forcé. Malgré le soleil brillant, on perd quelques points en terme d'ambiance...
Le groupe est alors scindé en deux : les deux Romains, Anouk et Maxime descendent avec les chasseurs à la recherche des chiens. Arnaud, Lucie, Hugo, Hélène et Chloé restent pour le moment en haut, avec une mission assez nouvelle à l'ESAM : pour rajouter une dose d’inhabituel à la journée, on installe Fumseck, le nouveau drone de l'association, sur sa piste de décollage. Aucune couverture nuageuse, les conditions de vol sont impeccables pour le drone. Arnaud s’est bien sûr déjà entraîné avec, mais c'est la toute première fois que les hélices de Fumseck sont déployées pour retrouver un chien. Les chasseurs ont été bien organisés et ont pu passer le collier GPS de la chienne en mode secours. Il y a donc encore de la batterie dans le collier, ce qui a permis d'avoir un pointage GPS le matin même, à 8h15. Arnaud entre les coordonnées dans le drone et le fait décoller.
Plusieurs paires d'yeux sont rivées sur l'écran. La caméra thermique révèle de nombreux points blancs, sources de chaleur. Il fait beau, et les cailloux chauffent en prenant le soleil ! Le terrain est parcouru avec application. Patience... sept minutes plus tard, une tache blanche attire leur attention. La caméra est aussitôt passée en mode "lumière visible" et la tache se révèle avoir quatre pattes, un pelage sable clair et encore pas mal d'énergie ! Explosion de joie, la chienne est bien vivante ! La compagne du chasseur rejoint le joyeux groupe autour de l'écran du drone, et reconnaît la chienne à la caméra. Olive n'attend plus que les sauveteurs !
Pendant ce temps, Maxime, Romain M. et Anouk descendent à l’endroit indiqué par les chasseurs mais peinent un peu. Le terrain est hostile : il faut progresser à vue dans de vastes pentes raides couvertes d’une couche instable de feuilles et de terre du type “où y’a rien qui tient”, qui se terminent dans un canyon sombre dans lequel l’eau a poussé de gros tas de feuilles et d’amas de branchages. Heureusement, les arbres ne manquent pas, offrant les uniques points d’amarrages fiables pour les cordes. Romain D., lui, trouve que l’endroit est trop pourri à descendre, d’autant plus avec l’idée de remonter par là avec un chien. Un premier groupe commence quand même à équiper la descente, au cas où.
Comme quoi, la journée offre tout de même quelques points de repère dans son originalité car, comme d’habitude, le piolet se révèle salvateur pour progresser dans ce terrain amovible. Finalement, Romain D. trouve un chemin qui continue et contourne la falaise, permettant quasiment de déboucher sur le chien. Il équipe le chemin d’accès avec une main courante. Sous lui, l’eau s’enfile dans une cascade et se fracasse après une bonne dizaine de mètres dans une sorte de large mare de quarante centimètres de profondeur. Et là, sur un promontoire rocheux, au sec, une petite chienne au pelage clair trépigne d’impatience.
Le reste de l’équipe le rejoint et Romain M et Romain D. partent à la rencontre du chien. Le matériel au complet est le bienvenu car cela commence à être franchement raide. Après un rappel pendulaire de trente mètres permettant de récupérer un ancrage un peu plus loin, Romain D. poursuit sa descente vers le fond du canyon. Normal qu’Olive n’arrivait pas à remonter d'elle-même : la zone est assez merdique, et c’est une chance d’ailleurs qu’elle soit encore en vie après être tombée de la cascade. L’eau, elle, continue sa fuite assourdissante dans la vallée, entraînant avec elle tout un tas de débris, d’arbres morts couchés et de feuilles.
Décidément, tous les ravins de Belledonne ont à peu près la même tronche, c’est la galère...
Romain D. continue autant que faire se peut dans une terre humide qui se mue en gadoue. Il se retrouve enfin juste au-dessus du chien et cherche un point d’ancrage. Pas simple dans cette paroi aux zones délitées. Ses yeux tombent finalement sur un piton de canyon, probablement plus vieux que lui, mais providentiel. Deux manips de corde plus tard, il atteint le fond du canyon, doucement, sans quitter la chienne des yeux. Il est méfiant : la chienne, de joie, pourrait sauter de son petit promontoire rocheux pour aller à sa rencontre, et être embarquée par le courant.
Là-haut, l'équipe est rassemblée autour de l'écran du drone. Propriétaires et secouristes suivent en direct Romain qui approche Olive, pleins d’émotions. La compagne du chasseur déborde de soulagement. Le moment partagé est précieux, des sourires s’échangent dans la complicité d’un instant suspendu. Romain qui approche, qui attrape la chienne. Romain qui la plaque au sol, pour ne pas qu'elle fasse de faux mouvement et lui échappe. Et en parallèle, Olive qui continue de battre de la queue, ivre de bonheur de retrouver de la compagnie. La chienne est rapidement équipée d’un harnais et sécurisée, et la longue remontée commence.
De son côté, Romain est légèrement moins dans le ravissement. La chienne est tellement contente qu’elle reste collée à lui, à moitié couchée le long de ses jambes, entravant chacun de ses mouvements. Ca glisse, c’est plein de flotte partout, bref, c’est chiant. Olive vachée à lui, il se démène à remonter la verticale à l’aide d’un auto-mouflage.
Pendant que Romain remonte Olive, Chloé et Arnaud entament les recherches de Rio, le deuxième chien. L'autre groupe de chasseurs n'a pas pu mettre le collier en mode secours et le boîtier GPS, déchargé, n'émet plus depuis un moment. Les coordonnées sont donc assez anciennes, mais pas de découragement. Olive a été retrouvée, maintenant cela va être au tour de Rio ! Hélène, Lucie et Hugo partent à ce moment pour préparer les locaux pour l’AG.
Chloé et Arnaud quadrillent le secteur en partant de la dernière position GPS connue pour Rio. Aucune piste ne doit être dédaignée, ils regardent tout ce qui brille à la caméra thermique. Arnaud ne quitte pas l’écran des yeux, tandis qu’en binôme efficace, Chloé contrôle la présence des avions et hélicos de la ligne du Versoud, obligation de sécurité lors du pilotage du drone. Depuis leur hauteur qui domine la vallée, ils ont une vue magnifique sur la Chartreuse.
Deux têtes attentives sont penchées sur l’écran de la caméra quand le drone survole la zone du canyon où Olive se trouvait précédemment.
"Attends, stop ! j'ai un doute sur un truc qui était derrière Romain, tu pourrais checker ?"
Parmi les rochers, il lui semble voir une masse sombre non loin du promontoire où étaient juchés Olive et Romain quelques minutes plus tôt. Aussitôt, Arnaud se fixe dessus avec le drone et prend des clichés sous plusieurs angles pour comparer.
"A mon avis c’est que des cailloux que tu vois."
...
"Ouais, ben y'a plein de gros cailloux noirs quoi..."
"Merde je crois qu'on voit la queue."
"Ah si, c’est ça, on voit un chien. Si, c’est bien un chien. Putain..."
Une des images au drone permet de distinguer les pattes arrières du chien. Il semble grossièrement couché dans l’eau, sur le flanc. On distingue un peu le bout de sa queue et quelques zones de pelage noir et blanc.
Romain, lui, est encore aux prises avec la remontée, entre la gestion des manips, l’effort à fournir pour se dépêtrer de tout ce fatras et Olive qui repose dans son baudrier, calée contre lui. La radio de son gilet grésille :
"Romain de Arnaud, on croit avoir retrouvé Rio. Déséquipe pas tout de suite, tu pourrais redescendre pour confirmer que c'est lui ?"
"Arnaud de Romain, bien reçu."
Aussitôt la chienne déposée en haut des verticales, Romain redescend dans le fond du canyon, mais ne voit rien du tout.
“Y’a que dalle, juste des rochers !”
"Juste à côté de toi, vers l’aval".
“Ben non, y'a un ressaut de 2 - 3 m en contrebas, plein de flotte, et c’est tout."
Qu'importe, il faut vérifier. Il descend le petit ressaut, les pieds dans l’eau. Et là, il le voit. En même temps que Romain s’approche du petit corps immergé, le doute et les espoirs s’évanouissent. Malgré le fait qu'il ne soit pas véto, la disposition du chien ne laisse aucune chance : il a dû se briser les cervicales en tombant de la cascade et mourir sur le coup. Son collier GPS a probablement été arraché pendant la chute, ne reste que le petit collier avec la clochette.
C’est fini. Rio n’est plus. Calmement, Romain contacte les autres secouristes et demande si les propriétaires souhaitent que le corps du chien soit remonté. La réponse est négative. Il ne peut s’empêcher de pousser un soupir de soulagement.
Alors, il sort doucement le chien de l’eau, le porte au sec et le dépose à plat. Il récupère la clochette pour le propriétaire, souvenir infime et précieux à la fois, qui ne tintera plus à son cou. C’est un moment singulier d’être là, tout seul, avec l’eau, avec les roches recouvertes de feuilles et ces parois abruptes, et avec ce corps sans vie. C’est si simple et presque bête comme c’est fragile, une vie. Parcourant la rive, Romain choisit de grandes pierres plates qu’il dépose autour du chien, puis au-dessus de lui. Rio reposera donc ici, sur le bord d’un des méandres du canyon, bercé par le chant de l’eau. C’est un lien étrange que de faire la sépulture et les derniers gestes pour un être qui nous était inconnu. Moment un peu fébrile, plein de respect et d’humilité. Moment important et à la fois, il y a Olive, là-haut, qui attend. Olive qui elle, est bien vivante, et pour qui la vie continue.
Alors, c’est reparti. Romain récupère la chienne, lui fait passer la main courante et la suite des cordes. Quand la pente se couche enfin, il la détache, et celle-ci, dans un état apparent de forme olympique, détale toute seule retrouver ses maîtres. Cela dit, il aurait été difficile de s’en plaindre car la distance à parcourir jusqu’en haut était encore bien longue, et d’autant plus avec un animal presque vautré sur les jambes comme au début de la remontée.
Plus haut, Chloé et Arnaud suivent la progression en radio et au drone. Lorsque la chienne atteint les pentes douces, ils l’indiquent aux proprios qui partent à la rencontre du chien. Ils ne furent pas longs à revenir : quelques minutes plus tard, le tintement d’une petite clochette arriva à leurs oreilles, puis ils aperçurent Olive, accompagnée par ses deux maîtres. Chloé jette un œil à l’état de la chienne. Cette dernière est un peu haletante et en état de choc. Parfois, des tremblements la prennent, et un hématome marque l’intérieur de sa patte arrière gauche. Son état semble miraculeux suite au choc de la chute puis à l’attente, elle semble s’en sortir avec une petite hémorragie bénigne seulement. Olive est installée au chaud dans le pick-up, puis emmenée direction la clinique vétérinaire.
Pendant ce temps, le reste de l’équipe se débrouille tant bien que mal pour ranger et remonter le matériel en se répartissant les lourds sacs de corde et de quincaillerie. Pour leur épargner un portage pénible, les propriétaires font le tour avec un gros pick-up dans lequel ils chargent le matériel pour le ramener au point de départ. Il est 15h30.
Les sentiments sont mêlés, entre la joie des propriétaires d’Olive et les émotions contenues liées à la perte de Rio. La clochette de Rio est récupérée par un ami du propriétaire, qui, touché, s’est éclipsé après avoir remercié l’équipe et offert un don pour soutenir le travail de l’ESAM. Puis, les chasseurs aident à ranger le matériel et payent un coup à boire. Le temps s’étire, et à 17h10, tout le monde réalise que l’heure de l’AG approche à grands pas : l’équipe saute dans les voitures, direction le local, afin de ranger le matériel, puis file en direction de la salle réservée pour l’assemblée générale.
Deux jours après, des nouvelles d’Olive parviennent à l’équipe. Malgré sa forme apparente, la chienne avait un pneumothorax. La résistance de ces chiens étonnera toujours ! Il faut dire qu’Olive est une petite miraculée. Du haut de ses quatre ans à peine, elle avait déjà été éventrée par un sanglier, suite à quoi on lui avait retiré la rate. Puis, elle s’était ouverte la patte avant droite, blessure dont elle gardait encore la cicatrice. Venant d’un animal qui se tire avec seulement un pneumothorax de la chute d’une cascade de quinze mètres de haut, pouvons-nous vraiment être surpris ? En tous cas, nous lui souhaitons un futur bien plus clément et doux, et rempli de joie !
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