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Sako, Rex et Mascotte - Orpierre (05)

  • Solveig
  • il y a 2 jours
  • 9 min de lecture

 

Nous sommes le 5 décembre 2024. Dans le pick-up de l’ESAM, une joyeuse discussion sur les musiques des années 90 nous anime avec enthousiasme, tandis que nous roulons vers Orpierre au petit matin. Dans le coffre se trimballe un amoncellement de sacs et de matériel, rapidement embarqué une petite heure auparavant. Nous avons dévalisé le local matos de tout ce que nous pouvons raisonnablement porter à trois secouristes -et un peu plus, il faut se l’avouer, en espérant intérieurement l’aide des chasseurs qui nous ont appelés. Lors d’une journée de chasse, six chiens porcelaine à la poursuite de sangliers se sont embarrés dans les falaises. L’un d’entre eux est parvenu à redescendre tout seul, un deuxième est miraculeusement sorti par le haut de la falaise, suivant le sanglier dans les barres rocheuses et les pentes abruptes. Quatre chiens sont restés coincés quelque part au milieu, incapables de faire demi-tour. La Rosie, l’une d’entre eux, a malheureusement sauté la barre et a été tuée sur le coup. Trois chiens ont donc passé la nuit sur une de ces petites vires étroites : Sako le craintif, au collier bleu, Rex l’énergique au collier rouge, et Mascotte la doyenne, au collier jaune.

 

Vers 6h ce matin, après un petit déjeuner, nous avons fait le point avec les chasseurs au téléphone : le suivi des colliers GPS des chiens indiquent que ceux-ci sont encore coincés là-bas, quelque part dans la falaise. Et c’est ainsi que nous nous sommes retrouvés au local, puis dans le pick-up, filant vers le village où ils nous ont donné rendez-vous. Nous sommes accueillis chaleureusement et partageons tous ensemble un café au bistrot de la place, l’occasion de faire connaissance et de discuter des dernières mises à jour sur la situation des chiens, et de l’organisation de la journée. Puis, nous reprenons les voitures et après 30 minutes de route, nous garons les véhicules sur un parking en hauteur tout proche d’une crête, surplombé par une antenne qui veille silencieusement sur le déco de parapente à ses pieds.

 

Nous chargeons le matériel dans nos sacs, et les chasseurs nous aident : ils sont une bonne troupe à être venus pour aider leur ami, propriétaire des chiens, et chacun prend une partie du matériel. Oui, on porte le perfo ! et oui, aussi plusieurs centaines de mètres de corde. Est-ce bien nécessaire ? Le GPS semblait indiquer que les chiens étaient atteignables avec un simple rappel de 30m. Oui, mais dans les falaises, la précision du GPS, tu sais… oh et puis l’autre fois, les copains avaient déroulé 250m de corde pour chercher un chien supposé être “juste en dessous”, tu te souviens ? bon allez, on embarque tout ça, de toutes façons on est nombreux !

 

Le fil de l’arête est magnifique. Le chemin le suit tout du long, et nous sommes heureux d’être parmi les arbres, certes peu hauts, mais plutôt robustes. Cela fera de bons ancrages pour y fixer la corde. Après 50 minutes de marche, les arbres se font plus rares et nous atteignons une zone rase, au rocher plutôt délité. C’est là ! Le GPS indique que les chiens sont juste en contrebas, dans la falaise qui tombe à droite.

Le temps de discuter du meilleur plan possible, ou du moins pire, disons, et voilà Antoine armé du perfo qui installe trois goujons dans un des rares bons rochers du coin. Pacôme prépare les kits, tandis que je descends avec la corde de main-courante pour chercher un arbre digne de ce nom en contrebas. Le rocher avait l’air bon, mais on est toujours assez contents de doubler notre amarrage de départ avec autre chose ! Et aujourd’hui, on a envie d’être contents !

 

Le poinçonneur des rochers !
Le poinçonneur des rochers !
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Après quelques minutes de trifouillage de nœuds sur les troncs, parmi les branches et les buissons, me voilà de retour sur la crête où règne l’inquiétude. Sako, dont le collier GPS indiquait une position à 27m, vient de passer à 100m.

“Et merde, c’est Sako, il a sauté lui aussi…”


“Attends, des fois le GPS il galère dans les falaises, c’est pas dit !”

Fébriles, nous faisons une courte pause dans nos préparatifs. Nous veillons à ce que les requérants, malgré l’envie de chercher des indices visuels dans la falaise, restent de l’autre côté de la crête, dans la pente douce. L’émotion est forte, l’optimisme fragile. C’est si difficile de trouver un équilibre dans ce moment de détresse. Réussir à être présents, rassurants, mais rester réalistes tant que les chiens ne sont pas remontés.

“‘té, en plus il fait froid ici, avec ce vent !”

“Ben ça, froide, elle l’était, la Rosie, quand je l’ai déposée dans son trou ce matin…”

“...”

“Ça va aller, il dit quoi, le GPS ?”

Silence.

“28m !”

“Allez, il est sûrement encore en vie !”

 

Les radios sont allumées et testées : l’une d’entre elles est confiée aux chasseurs. Nous ne serons pas trop de trois sur les cordes, aussi, exceptionnellement, aucun d’entre nous ne restera avec les chasseurs. Les recherches peuvent être longues, et la radio nous permettra de garder le contact avec eux et de les tenir au courant des avancées. Nous descendons un par un, promettant de donner des nouvelles régulièrement : les requérants, prévenants, s’inquiètent un peu pour nous et nous demandent de ne pas prendre de risques. Nos vies sont précieuses, insistent-ils.

 

La falaise, à cet endroit, ressemble à une garrigue quasi-verticale, entrecoupée de barres rocheuses. A l'affût du moindre son ou signe de vie dans ce fouillis de hauts buissons (ou d’arbres bas ?), nous vidons kit de corde sur kit de corde, heureux d’avoir pris de la marge. Parfois, quelques ressauts rocheux non protégeables nous obligent à user du perfo pour ajouter quelques goujons. D’ailleurs, la batterie dudit perfo diminue, mais nous avons encore deux recharges pleines. La fouille du terrain peut continuer. Devant nous, un peu plus loin, la falaise se raidit encore et la végétation disparaît dans un éboulis. Nous échangeons un regard : espérons que les chiens ne soient pas partis par là !

 

Nouveau relais sur arbre, nouvel endroit de doutes : aucune direction ne semble meilleure qu’une autre. Quelques vagues sentes, signes de passages d’animaux, nous donnent parfois espoir de trouver un cheminement plus simple, mais rien n’est évident. Chacun sur sa corde, nous faisons quelques mètres dans trois côtés différents, pour ensuite choisir quelle direction privilégier.

“Oh ! ils sont là !”

Pacôme, pendu dans son baudrier au-dessus d’un bombé, nous fait un grand sourire. En contrebas, il a vu deux chiens, vêtus de gilets orange fluo. Ces gilets sont une sacré chance pour eux, car beiges parmi les rochers, nous ne les aurions peut-être pas remarqués sinon !


"Ca y est, je les vois !"
"Ca y est, je les vois !"

Alors... deux chiens ? trois chiens ?
Alors... deux chiens ? trois chiens ?

 

On annonce la bonne nouvelle à la radio. Après ces heures de recherche, que les requérants doivent voir lentement défiler, là-haut dans le vent de la crête sans pouvoir nous aider, c’est le début du soulagement.

“Deux chiens, vous avez dit ? et le troisième ?”

Nous aussi, on se posait la question. Oui, le troisième, où est-il ?

Pacôme retourne à son poste d’observation.

“Non, j’en vois que deux, ils sont blottis l’un contre l’autre”.

“Aaah attendez, je crois voir un truc, oui, ça doit être le troisième !”

“Heu… en fait, je n’en suis pas si sûr, c’était peut-être un des deux qui a bougé…”

 

Dans tous les cas, on a trouvé deux des chiens, alors nous allons déjà secourir ceux-là. L’heure tourne et la nuit tombe tôt. Nous trouvons un accès par le côté, sur un dôme rocheux et lisse. Le perfo n’a presque plus de batterie et les recharges sont vides. Nous commençons à stresser : est-ce qu’il y en aura assez pour récupérer les chiens ?

 

Antoine descend le premier, délicatement. Comme nous arrivons par le dessus, nous craignons de les effrayer. Au vu de leur position précaire sur une très étroite zone au-dessus de la barre rocheuse finale avant le sol, tout déséquilibre des chiens pourrait entraîner la chute. Petit à petit, Antoine rejoint la vire des chiens. Enfin, “vire”, si tant est que l’on puisse appeler ça comme ça, tellement elle est étroite. Et, là, une bonne nouvelle nous attend : il y a bien les trois chiens, rassemblés au même endroit ! Un regain de forces nous inonde. Un nouveau goujon, un arbre providentiel pour y mettre une sangle, et Antoine se dirige vers le premier des chiens. Fou d’enthousiasme à la vision d’un être humain, celui-ci cherche à le rejoindre au plus vite.

“Douuuucement, douuuucement…”

 

Le vide guette, là, juste à côté. Le vide attend. Surtout, éviter le moindre déséquilibre de nos compagnons à quatre pattes.

Petit à petit, dans des postures vraiment très peu pratiques, nous parvenons à équiper le craintif Sako d’un harnais sécurisé, puis le Rex. Malheureusement, il nous manque un harnais à la bonne taille pour Mascotte. Nous décidons alors que Pacôme et moi remonterons Sako, tandis qu’Antoine attendra notre retour en compagnie des deux autres chiens.


Pacôme aux petits soins
Pacôme aux petits soins
La petite vire qu'elle n'est pas large !
La petite vire qu'elle n'est pas large !

 

La radio grésille dans mon gilet.

“So, on peut faire quelque chose pour vous aider ?”

Les chasseurs doivent trouver le temps long, là-haut, et se sentent démunis de ne pas pouvoir mettre la main à la pâte.

“Non, merci, tout va bien, on remonte Sako !”

 

S’en suit une longue remontée, ponctuée de l’installation de petits mouflages et tractions pour aider le porteur du chien. Prudence est de mise sur ce terrain : il est facile de décrocher des petits cailloux, et notre ami Antoine est juste en dessous. Régulièrement, nous prenons de ses nouvelles et l’informons sur notre avancée, forcément trop lente : le pauvre nous attend immobile en pleine face Nord, ça caille et la zone n’a pas vu le soleil de la journée.


Bientôt, Sako sera tiré d'affaires !
Bientôt, Sako sera tiré d'affaires !

 

Aussitôt sur la crête, aussitôt redescendus : Sako est sorti de son harnais puis confié aux requérants, et nous filons retrouver Antoine, qui n’a heureusement pas encore totalement gelé. Rex, (un peu trop) dynamique, est remonté au-dessus du bombé par un Pacôme totalement rôdé sur le mouflage, tandis que nous équipons Mascotte dans son harnais, toujours avec maintes précautions pour éviter de la déstabiliser.

 

“On leur a dit qu’on avait trouvé les trois chiens. T’imagines, si le dernier nous échappe et tombe..?”


Glaciale, mais conviviale, cette vire !
Glaciale, mais conviviale, cette vire !

 

Nous ne serons pas tranquilles jusqu’à ce que Mascotte soit bien sécurisée, longée à la main courante. Bon, cette étape délicate est faite. Mais le secours n’est pas encore terminé, il nous faut être vigilants jusqu’au bout. L’apparente énergie des chiens s’est évaporée : sont-ils épuisés ? ou stressés par les manips de corde ? Les pattes flanchent, et souvent, leur corps chaud s’affale contre nos jambes, entravant la progression. Pourtant, là, dans cette pente terreuse, il semblerait possible de monter avec leurs quatre pattes, non ? …non ! Tant pis, il nous faut les porter, passer ces branches et ces racines. Parfois, une courte phrase exhortant un chien à avancer se fait entendre : est-ce pour le chien, ou pour nous-mêmes, que nous braillons ces encouragements ?

Un peu trop d'émotions pour le Rex, promis on en a pris grand soin !
Un peu trop d'émotions pour le Rex, promis on en a pris grand soin !

Le dernier chien est enfin en haut du bombé rocheux !
Le dernier chien est enfin en haut du bombé rocheux !

 

La nuit commence à tomber, le temps s’échappe alors que nous remontons les deux chiens restants. Portage, mise en place de tractions, déséquipement, remontée sur corde, encore. Dans l’action, attentifs à chaque obstacle et essayant d’être efficaces, nous avons l’impression d’enchaîner, d’être plutôt fluides. Mais les minutes là-haut, sur la crête, semblent s’écouler bien plus rapidement, et c’est à la lumière des frontales que Mascotte, la dernière à retrouver son maître, sera hissée jusqu’au chemin.


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Les chasseurs sont, eux aussi, épuisés. Un vent glacial s’est levé quelques heures avant, et ils ont fini par faire un feu pour lutter contre le froid. Il est 19h, tous les chiens sont tirés d’affaire, après 7h d’intervention dans cet univers raide et broussailleux. 7h ! j’avoue que je n’en reviens pas, bien que les ventres crient famine, le temps est passé si vite… en récupérant les plaquettes sur les goujons, je savoure silencieusement ce moment précieux de joie et de partage.

“Des photos ? oui bien sûr, en plus ça nous aide énormément pour les dons et les réseaux, et pour continuer à exister comme asso !”

Alors on mitraille de photos, pour se souvenir de cette journée spéciale, pour eux comme pour nous. Chacun aide à replier le matériel à la lueur des lampes qui illuminent gaiement la nuit noir d’encre. Le retour est rapidement entamé, sur le fil de l’arête depuis lequel on peut voir briller les lumières des villages en bas. Le dernier quart d’heure avant les voitures est parcouru comme dans un songe.


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Claquements de portières, discussion. C’est le retour au monde réel ! Les requérants nous accueillent chez eux pour partager un copieux repas du soir. Après les formalités administratives suite au secours -auxquelles visiblement aucun de nous trois n’était rompu, puisque nous avions même confondu le kit administratif avec le kit de capture ! quelle ne fut pas notre surprise de trouver le fil du lasso au lieu des fiches de renseignements habituelles !- et un immense merci aux requérants pour leur générosité pour l’ESAM à la suite du secours, le retour en pick-up fut jovial et musical. Toutes les inters n’ont pas une aussi belle fin, et ces instants de légèreté infinie sont précieux. Douce ivresse, souvenirs déjà marquants, et une grande reconnaissance d’avoir partagé les hauts et les bas de cette journée avec une aussi chouette équipe. Il est minuit lorsque nous débarquons au local, le temps de ranger le matériel et, peu après, rejoindre nos couettes respectives qui nous accueilleront à bras ouverts !



Ce récit est vécu, illustré et raconté par Solveig

 
 
 

1 commentaire


Mourier
il y a 4 heures

Vous devriez écrire un recueil ça vous permettrai de gagner de l'argent. Vos récits sont vraiment agréable à lire 👍

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